Alexis de Tocqueville (1805-1859), dans son essai L’Ancien Régime et la Révolution publié en 1856, soulignait le fait que les cahiers de doléances « resteront comme le testament de l'ancienne société française, l'expression suprême de ses désirs, la manifestation authentique de ses volontés dernières »1. Quoique, dans l'imaginaire collectif, ils symbolisent surtout la Révolution française, les cahiers de doléances sont rédigés – depuis 1484 – dans le cadre de l'organisation d'États Généraux, qui existent depuis le XIVe siècle2. Ils sont, en effet, réunis la première fois en 1302, sous Philippe le Bel, suite à un différend avec le pape, puis ponctuellement lorsque la royauté française traverse une crise majeure soit à 36 reprises entre 1302 et 1789. Il ne s'agit donc pas d'une pratique politique nouvelle, même si à la veille de la convocation à Versailles au printemps 1789, les États Généraux n'avaient pas été réunis depuis 1614 soit 175 ans3.
La crise de la fin du XVIIIe siècle est avant tout une crise des institutions, le principal problème étant le déficit budgétaire du royaume, causé par trois éléments : les frais de cours, les dépenses militaires – notamment lors de la Guerre d'Indépendance des États-Unis – et le remboursement de la dette. Le système fiscal s'est enrayé et les impôts indirects sont très impopulaires. Louis XVI envisage alors toute une série de réformes dans les années 1770-1780, qui trouvent systématiquement l'opposition des parlements, de la noblesse et des bourgeois pour des raisons généralement différentes. À partir de 1788, la noblesse tente de réactualiser les anciens droits seigneuriaux par l'intermédiaire des feudistes4, ce qui entraîne des soulèvements populaires dans l'ensemble du royaume. En juin 1788, le contrôleur général des Finances, Loménie de Brienne décide alors de suspendre les parlements, ce qui génère une forte agitation en province. Ces mouvements de résistance, notamment du Tiers État, formulent des revendications dont les trois principales sont la réunion des États Généraux pour résoudre le problème de l'impôt, le doublement des députés du Tiers État et le vote par tête.
À la fin de l'année 1788 le roi cède et décide de convoquer les états généraux et de doubler les députés du Tiers État. Il refuse toutefois le vote par tête. La préparation des états généraux a lieu dans l'ensemble du royaume. La Bretagne étant un pays d'État, les députés des trois ordres sont choisis lors d'états provinciaux, après avoir été élus ou choisis au sein de chaque paroisse, communauté ou corporation5. Les Français sont également appelés à rédiger les cahiers de doléances – environ 40 000 sur l'ensemble du royaume. Souvent assimilés à la fin de la monarchie et de l'Ancien Régime, les revendications que ces documents contiennent sont néanmoins très loin de demander la déposition du roi et sont plutôt liées à des questions fiscales et à la suppression des nombreux privilèges de la noblesse. On peut également en obtenir un tableau très complet de la vie de chaque paroisse à la fin du XVIIIe siècle, ce qui en fait « un document unique dans l'histoire »6 pour reprendre les mots d'A. de Tocqueville.
La rédaction des cahiers de doléances dans les paroisses a eu lieu entre le 29 mars et le 6 avril sous l'autorité du sénéchal, du procureur fiscal ou d'hommes de loi. Les signataires étant les seuls délibérants cités, il est difficile de déterminer le nombre exact de personnes prenant part à la rédaction et à l'élection des députés. Le nombre de députés élus est proportionnel à la taille des paroisses et varie entre 1 et 4. En ce qui concerne les trèves7, les pratiques ne sont pas uniformes. Leurs habitants peuvent rédiger un cahier et élire les députés en commun avec la paroisse-mère, ce qui est généralement mentionné au début du document, comme les trèves de Noyal-Pontivy ou Rieux, ou agir indépendamment, comme les 5 trèves de Loudéac. Les villes sont soumises à des modalités différentes avec la rédaction d'un cahier et l'élection de députés au sein des corporations, communautés et paroisses qui se réunissent ensuite à l'assemblée de la ville pour élire des députés à l'assemblée de la sénéchaussée8.
Les cahiers rédigés dans les paroisses sont ensuite transmis à la sénéchaussée par l'intermédiaire des députés élus dans chaque paroisse. Après avoir rassemblé les cahiers de toutes les paroisses, un cahier est rédigé par la sénéchaussée pour être présenté aux États Généraux, qui étaient convoqués le 27 avril, et qui sont finalement ouverts le 5 mai 1789 à Versailles. Les assemblées chargées de rédiger les cahiers des sénéchaussées et d'élire les députés qui se rendront à Versailles ne se sont pas réunis à la même date, celle-ci dépend probablement du retour des cahiers des paroisses. Pour les sénéchaussées situées sur le territoire de l'actuel département du Morbihan9, les assemblées se réunissent :
- Le 3 avril à Gourin,
- Le 9 avril à Vannes,
- Le 14 avril à Auray10,
- Le 16 avril à Ploërmel et Nantes11,
- Le 21 avril à Hennebont.
Il est à noter que la noblesse bretonne à qui l'on a refusé que ses députés soient élus lors de la réunion des États de Bretagne
12, comme le prévoit la « Constitution bretonne », a refusé de rédiger un cahier de doléances et de se rendre à Versailles. Le bas-clergé, réuni en assemblées diocésaines a quant à lui élu ses députés et rédigé 22 cahiers de doléances
13.