L’aliéné et l’hôpital psychiatrique suscitent souvent mystère, crainte et gêne dans l’imaginaire collectif. Pourtant, au fil des siècles, le regard de la société sur cette catégorie d’individus et leur prise en charge a évolué tant au niveau national que local.
Situation générale initiale
Avant le 19ème siècle, l’aliéné était légalement considéré comme un délinquant, un danger potentiel et un incurable ne méritant aucun soin. Si on ne l’enfermait pas dans une prison, on le gardait au sein de la famille en faisant appel à une thérapeutique religieuse et à l’intervention de saints guérisseurs. Le cas échéant, on le plaçait dans des institutions religieuses ou on l’internait dans des loges réservées aux personnes démentes dans les hospices locaux.
Situation dans le Morbihan
De fait, aucune véritable prise en charge des malades mentaux n’est proposée dans le département du Morbihan avant 1820, date de création d’un quartier réservé aux aliénés à l’Hospice de Vannes.
En 1703, le Couvent du Père Éternel à Vannes, fondé en 1668, est une des premières institutions à recevoir « de pauvres femmes ayant perdu la raison ». Dès 1720, quelques cellules sont également aménagées dans la Tour du Connétable afin d’y « séquestrer » des malades mentaux, des « imbéciles » et des filles de mauvaise vie. Les « idiots » et les épileptiques sont quant à eux reçus à l’Hôtel Dieu de Vannes, transféré au Petit Couvent à la Révolution, et à l’Hospice Saint Yves devenu Hospice des Incurables. Enfin, l’Hôpital général de Vannes, fondé en 1684 et devenu Hospice d’Humanité à la Révolution, possède un quartier réservé aux aliénés non dangereux. En 1768, toujours à Vannes, un dépôt de mendicité est créé, dans lequel des cachots sont aménagés pour les déments hommes et femmes de la région. Les plus dangereux sont ensuite transférés vers le Dépôt des aliénés de Rennes, anciennement Hospice Saint-Méen puis Hospice du Tertre de Joué.
En définitive, la société de l’époque reste majoritairement tournée vers des solutions d’enfermement et d’isolement, y compris dans les prisons.
Situation générale à partir du 19ème siècle
Cependant, au 19ème siècle, les mentalités évoluent grâce à l’action et aux travaux de deux médecins aliénistes, Philippe Pinel (1745-1826) et Jean Etienne Esquirol (1772-1840).
Pinel, médecin de l’Hôpital Bicêtre puis de la Salpêtrière, considère en effet que l’aliéné doit être traité humainement et libéré de ses liens plutôt que séquestré. Auteur de la première classification des maladies mentales, son influence marque le début de la psychiatrie moderne.
Quant à Esquirol, son élève et successeur à la Salpêtrière, il est considéré comme le créateur de l’asile psychiatrique moderne puisque c’est lui qui fait voter la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés.
Cette loi, qui a perduré jusqu’en 1990, marque en effet un tournant capital dans la prise en charge des malades mentaux et de la folie, mettant fin aux mauvais traitements, à l’usage des chaînes et au manque d’hygiène. Elle prévoit en outre la création dans chaque département français d’établissements spéciaux dont elle détermine le fonctionnement et les moyens financiers. Elle prescrit les modalités d’entrée, de sortie et de séjour des malades. Elle détermine enfin la condition juridique des aliénés internés.
Situation des aliénés morbihannais à partir du 19ème siècle
Dans le Morbihan, un rapport préfectoral daté du 15 décembre 1815 adressé au ministère de l’Intérieur, estime à 170 le nombre total des aliénés du département. Une ordonnance royale du 28 août 1818 autorise la commission administrative des Hospices de Vannes à construire un asile régional pour les aliénés. Le financement, la construction et l’achat du terrain près de l’Hôpital général de Vannes sont assurés par le département. Seize loges sont bâties, destinées à recevoir huit hommes et huit femmes. La surveillance des malades est confiée aux Sœurs de la Sagesse qui assuraient déjà la direction des services de l’Hospice d’Humanité. Un règlement intérieur du 28 septembre 1820, établi par le Comte de Chazelles, préfet du Morbihan, prescrit les modalités d’admission des malades, les fonctions et attributions du médecin ainsi que les attributions de l’administration de l’Hospice des aliénés. Cet établissement ouvre le 1er septembre 1820.
À partir du 18 février 1834, date du premier transfert des malades masculins vers l’Établissement des Frères Saint-Jean-de-Dieu à Saint-Aubin-des-Bois puis à Léhon près de Dinan dans les Côtes-d’Armor, seules les femmes aliénées sont conservées par le département du Morbihan dans le quartier des aliénés de l’Hôpital général de Vannes.
Le nombre de ces patientes ne cesse de s’accroître et l’asile se trouve rapidement surpeuplé, insalubre et impropre aux soins. Pour pallier cette situation, les hospices des arrondissements d’Auray, Lorient, Pontivy, Ploërmel aménagent des locaux pour recevoir quelques aliénés en attendant leur admission dans les asiles de Vannes ou de Léhon. On trouve également dans les prisons morbihannaises des malades mentaux parmi les détenus sains d’esprit.
Pourtant, le préfet du Morbihan parvient à faire voter en 1877 le principe de création d’un asile départemental. En 1878, le ministère de l’Intérieur désigne trois inspecteurs généraux pour établir le plan directeur de l’emplacement et de la construction de l’établissement. Malgré l’action des pouvoirs publics, la réalisation du projet prend du temps et l’encombrement de l’asile de Vannes persiste. Un certain nombre de femmes de l’asile de Vannes et d’aliénés masculins sont transférés vers d’autres établissements. Finalement, l’ensemble de la population aliénée du Morbihan se répartit ainsi en 1885 : 222 hommes sont traités à Léhon et 15 à Quimper, 121 femmes sont soignées à Vannes, 41 à l’asile privé de Bégard dans les Côtes-d’Armor et 41 à Niort.
La construction de l’asile de Lesvellec
Près de 40 ans sont donc nécessaires pour que la loi de 1838 se voie enfin mise en œuvre dans le Morbihan, malgré l’importance des besoins. C’est, en effet, par un décret du 29 novembre 1880 que la construction d’un asile départemental d’aliénés à Lesvellec, dans la commune de Saint-Avé, est déclarée d’utilité publique par le Président de la République Jules Grévy. Les plans sont réalisés par l’architecte départemental Maigné. Conformément au plan directeur établi par les inspecteurs généraux en 1878, l’architecte prévoit la construction d’un bâtiment pouvant accueillir environ 500 malades répartis par sexe dans des pavillons séparés de 266 lits pour les femmes et 266 pour les hommes et regroupés par divisions distinguant les différentes catégories de maladies mentales. Les 16 places en surnombre sont réservées au mouvement journalier des malades. Ces quartiers réservés aux malades sont complétés dans un axe central par le bâtiment administratif, la chapelle, la cuisine, le pavillon des bains, l’aumônerie puis la ferme et les ateliers.
Les travaux, confiés à Guillaume Kergoustin, entrepreneur à Sainte-Anne-d’Auray, débutent en 1882. Ils coûtent au département du Morbihan la somme totale de 928 402, 64 F.
Le 14 décembre 1885, le Dr Taguet est nommé médecin-directeur de l’asile. Il recrute des collaborateurs administratifs ainsi que des Sœurs de la Sagesse et du personnel laïc pour assurer l’encadrement des patients et la tenue de la ferme attenante au domaine. Une commission de surveillance est créée pour gérer l’asile. Les premiers malades mentaux originaires du Morbihan, traités jusque-là dans les hospices et asiles bretons cités plus hauts, sont accueillis le 1er mars 1886 dans des conditions précaires. Les travaux, en effet, ne sont pas terminés et la découverte de nombreuses malfaçons rendent difficiles l’ouverture et les débuts de l’asile. Pourtant, les transferts de malades se poursuivent et les premiers placements directs de malades ont lieu en mars et avril 1886.
Au fil des ans, l’asile, en raison de ses défauts de conception, de la croissance exponentielle des malades et de l’avancée des techniques de soins psychiatriques, subit d’importants agrandissements et modifications. On retrouve cette évolution de l’asile de Lesvellec vers la psychiatrie actuelle à travers ses différentes appellations : d’abord asile d’aliénés puis hôpital psychiatrique, il devient Centre hospitalier spécialisé (CHS) à partir de 1937 et enfin Établissement public de santé mentale (EPSM) depuis 2002.
L’ouverture en 1970 d’un deuxième établissement psychiatrique, l’Hôpital Charcot à Caudan, permet la prise en charge des malades du Pays de Lorient et la réduction de la capacité d’accueil de Lesvellec à 900 lits.